Dans le Bulletin de la Société d’archéologie et d’histoire de la Moselle, 7e année, 1864, on peut lire que le secrétaire communiqua à la Société une notice que lui avait adressée M. l’abbé Aubertin, curé de Bousse, rive droite de la Moselle, face à Richemont.
Eglise de Bousse par Auguste Migette, Musée de Metz, 1858
La Société d’Archéologie a bien voulu, pendant les séances de l’année courante, s’occuper de l’église de Bousse, et à propos de cet édifice, on s’est plusieurs fois demandé s’il était vrai que les Templiers avaient été possesseurs de cette localité. Plusieurs membres ont répondu d’une manière négative, parce que, disaient-ils, aucun document certain n’autorise cette opinion.
Dans l’espoir de jeter quelque lumière sur cette question, voici plusieurs renseignements que j’ai recueillis et que je me permets de transmettre à la Société, lui laissant la liberté d’en faire ce que bon lui semblera.
Un auteur a prétendu que toutes les traditions sont vraies. Je ne m’arrêterai point à discuter cette proposition, mais je crois qu’il y a dans le fond de chaque tradition quelque chose de vrai, et à ce titre l’église de Bousse est en possession d’une tradition très ancienne qui fait remonter aux Templiers la fondation de ce monument, non pas sans doute de l’église actuelle, car il y avait longtemps que l’Ordre du Temple était supprimé, mais d’une église antérieure dont ils furent les fondateurs, qu’ils possédèrent pendant de longues années, aussi bien que le village y attenant. Cette tradition ajoute que ces religieux, venus de très loin, parlaient un langage inconnu, qu’ils étaient très savants, qu’ils furent brûlés comme sorciers parce qu’ils possédaient le merveilleux secret de faire de l’or, et furent remplacés par d’autres, bien moins riches qu’eux, mais qui étaient plus humains et recevaient très volontiers les pèlerins et les étrangers. Que signifient ces quelques lignes ? Doit-on y voir l’histoire défigurée de la suppression des Templiers, ou d’autres faits ? C’est ce que je ne rechercherai point parce que cela est inutile à ma thèse, je ne voulais donner qu’un résumé d’une croyance qui s’est conservée jusqu’à présent, et dont je tiens les détails d’un vieillard qui a vécu avec le dernier des chevaliers de Malte resté à Bousse après 1788.
A cette croyance se joignent d’autres preuves. Dans le village de Bousse habitent plusieurs familles portant le nom de Chevalier et qu’on suppose descendre de religieux sécularisés. Il y a aussi, non loin de l’église, la croix des Chevaliers, la vierge des Chevaliers. Mais venons à des preuves plus positives. J’ai eu entre les mains deux pièces provenant de M. Gaudron de Rosselange, l’une portant la date de 1172, et dans laquelle il est question d’une transaction passée entre les vénérables de St-Pierremont, les religieux chevaliers de Bousse et plusieurs habitants de Rocherange ou Rosselange, à propos de terres et de vignes. L’autre pièce, portant le millésime de 1417, fait mention du couvent de Bousse et parle d’échanges faits entre les religieux de Bousse, les moines de Justemont et un certain Obryas de Rombas. Enfin, dans l’église même de Bousse est un autel dédié à saint Jean de Jérusalem.
Pourquoi cet autel, et que signifie ce vocable, sinon que l’église et le monastère appartenaient à un ordre religieux venant de Jérusalem, et cet ordre ne peut être que celui des Templiers ou des Hospitaliers ?
Enfin, le 3 septembre 1863, durant les travaux exécutés pour la pose du nouvel autel et la restauration du sanctuaire, en levant le pavé, plusieurs pierres tombales furent découvertes et presque toutes portaient une croix à huit pointes sans autre inscription. Sous le massif de l’ancien autel, il en était une, notablement plus grande, sur laquelle était gravée la même croix de Malte, le millésime 1322 ou 1352, avec ces mots en caractères romains encadrant la croix :
Venerabilis vir equest Jacobus Vescus de Milly 1322 ou 52
Pour ce qui est de l’église actuelle, qu’un rapport détaillé de M. Jacquemin, architecte, a fait connaître dans toutes ses parties à la Société, elle n’est évidemment pas l’œuvre des Templiers, quoiqu’en dise la Statistique de la Moselle de 1842 ; son architecture accuse d’une manière certaine le style ogival rayonnant, et une fenêtre le style flamboyant. Mais rien ne s’oppose à ce qu’on croie que cet édifice a été élevé sur l’emplacement d’un oratoire plus ancien, établi par les Templiers, beaucoup plus petit que l’église actuelle, et qui pouvait bien être de forme octogonale, comme le faisaient supposer quelques bases de piliers carrés, mises à nu lors du renouvellement du pavé du sanctuaire et se rapprochant assez par leur structure de l’époque romane. Toujours est-il qu’après avoir enlevé la pierre d’autel qui est d’une seule pièce, nous trouvâmes entre deux pierres plates, dites marbre de Guénange, une plaque en plomb sur laquelle nous parvînmes à déchiffrer les mots suivants :
Templum hog B.M.V.G.D. dedicatum, vetustate collabens, in altera forma restituerunt venerabiles viri qui sub D°.D° fab caretto vivunt. Anno R. S. MCCCC…IV
Le reste de cette inscription ainsi que les bords de la plaque ayant été trop maltraités, nous n’avons pu y découvrir autre chose. Mais quel est, ce Fab Garetto dont il est question ? Ne serait-ce point Fabrice Garetto, grand-maître de Rhodes vers le commencement du seizième siècle, et qui aurait donné ordre aux chevaliers de rebâtir leur église ? C’est une question dont je laisse la solution à de plus érudits, mais qui me paraît bien voisine de l’évidence.
Egalement au milieu du sanctuaire et en face de l’autel, deux sépultures furent découvertes, mais aucune inscription n’indiquait le nom des personnages qui reposaient dans ce lieu privilégié ; seulement leurs tombeaux étaient dirigés de l’est à l’ouest, la tête tournée vers l’autel. Ils consistaient simplement en deux fosses de grandeur naturelle séparées par une petite muraille cimentée. C’est dans l’une de ces sépultures que fut trouvée la fameuse médaille représentant un cycle hébreu dont M. Lambert vous a longuement et savamment entretenus. Dans l’autre sépulture nous trouvâmes simplement un anneau avec un chaton en pierre noire et sur lequel étaient gravées des lettres entourant un blason surmonté d’un cimier. C’est cet anneau que j’ai eu l’honneur de montrer à ceux de MM. Les membres de la Société qui, en juillet dernier, voulurent bien nous honorer de leur visite. L’église de Bousse fut exclusivement réservée aux religieux jusqu’en 1754. Cependant, par privilège, les habitants pouvaient y entendre la messe le dimanche, tandis que pour les baptêmes, mariages et sépultures, ils étaient obligés d’aller à Guénange ou à Blettange. Quand, au seizième siècle, l’église de Blettange tomba en ruines, Blettange fut annexé à la paroisse de Logne, tandis que Bousse continua d’aller à Guénange.
Enfin, en 1754, une ordonnance de Mgr l’évêque de Metz érigea en paroisse la chapelle de Notre-Dame de Bousse. Il y eut alors un curé qui fait l’office, mais à des heures distinctes des heures réservées aux religieux, qui conservèrent néanmoins la propriété de l’église et furent chargés de son entretien. C’était aussi à eux qu’on devait s’adresser pour obtenir d’être inhumés dans l’église et le cimetière y attenant. Pour eux, ils continuèrent à être inhumés dans le collatéral droit, en face de l’autel dédié à saint Jean, tandis que les autres personnes de distinction recevaient leur sépulture dans le collatéral gauche.
De ce côté, toutes les pierres tombales ont disparu par suite de la nécessité où l’on fut de renouveler le pavé. Du côté droit, au contraire, la plupart sont restées ; mais, à part quelques signes qui décèlent des sépultures, toutes les inscriptions sont effacées, si ce n’est une portant la date de 1756, et une autre sur laquelle sont gravés une croix et un calice. L’église communiquait avec le monastère qui y attenait, par une porte latérale s’ouvrant à droite dans le sanctuaire, et qui fut malheureusement mutilée lors de la restauration de l’église, en 1861.
D’après la tradition, le monastère était vaste, bien bâti, tout voûté avec de longues fenêtres pointues ; sur le devant étaient des arcades où l’on pouvait s’abriter ; il entourait complètement l’église, excepté à l’ouest où il était traversé par le chemin d’Uckange et de Guénange. Lors de la sécularisation des ordres religieux, il fut vendu et en partie démoli, à l’exception des constructions de l’ouest qui subsistèrent jusqu’au commencement de ce siècle. Elles appartenaient à M. de Vellecour et servaient d’asile à quelques pauvres familles. Mais leur état de vétusté et les dépenses considérables qu’eussent entraîné l’entretien et la restauration de ces bâtiments, déterminèrent M. de Vellecour à faire démolir ce qui en restait. Aujourd’hui, à part l’église qui est là pour attester la foi et le bon goût de ceux qui la fondèrent, il ne reste plus aucune trace de ces constructions.
D’après les renseignements que j’ai pu recueillir, les bâtiments conventuels devaient enserrer l’église, et les dépendances, c'est-à-dire une cour, des jardins, des basses-cours et des pressoirs, s’étendaient au sud-ouest, occupant tout l’espace compris entre le chemin d’Uckange et la rue principale du village.
M. de Bouteiller dit que d’après les renseignements que contient la notice qu’on vient de lire, il lui paraît très probable que c’étaient en effet des chevaliers de Malte qui occupaient Bousse. Ce qui est certain, c’est que cette maison ne dépendait pas de la Commanderie magistrale de Metz.
Une étude très approfondie, qu’il en a faite récemment, lui permet de l’affirmer. Cela est du reste très naturel, puisque Bousse ne faisait pas partie du pays messin, mais appartenait au duché de Luxembourg dont la frontière passait très près, entre Ay et Blettange. On en a la confirmation dans la liste des villages du pays messin, publiée par M. de Mardigny, où il ne figure pas davantage.
Bousse, Carte Naudin 1729-1739
Les Templiers avaient deux commanderies dans le voisinage immédiat du pays messin, l’une à Vianden dans le Luxembourg, l’autre à Becking, cercle de Sarrelouis, village qui a été cédé à la Prusse par les traités de 1815. Ce qui est sûr, c’est que les religieux, quels qu’ils fussent, qui possédaient Bousse, n’y exerçaient pas de droits de seigneurie ; car les aveux et dénombrements de 1620 à 1715 indiquent la seigneurie de Bousse et de ses deux annexes, Blettange et Laudrevange, au nom de M. de Rivers – sans part d’autrui – et deux de 1756 l’attribuent avec la même remarque à M. de Verpy.
M. Abel croit que les chevaliers de Saint-Jean étaient moins nombreux dans les pays d’Allemagne, que les chevaliers de l’ordre teutonique et qu’il y aurait plus de probabilité en faveur de ces derniers, qui y comptaient de nombreux établissements.
M. Dommanget rappelle à ce sujet que ce dernier ordre possédait une maison à Cattenom.
M. Abel remarque un souvenir historique relatif à l’église de Bousse. C’est dans cet édifice que fut fait, entre les alliés en 1483, le partage des dépouilles enlevées au comte de Virnembourg, dans le château de Richemont pris par les Messins associés aux Luxembourgeois et aux Lorrains.
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A lire ou à relire http://www.templiers.net/ de Jack Bocar