André des Bordes, seigneur de Hestroff avant 1624
L’ouvrage le plus tristement célèbre qui ait vu le jour dans les dernières années du XVIe siècle est, à coup sûr, celui dans lequel le procureur-général de Lorraine Nicolas Remy raconte, avec une affreuse impassibilité, que neuf cents individus à peu près furent mis à mort sous l’accusation de sorcellerie durant les quinze années qu’il exerça ses fonctions.
Parmi les malheureuses victimes de cette inconcevable croyance, de ce délire qui s’était emparé de tous les esprits, il y a deux hommes, entre autres, dont le nom appartient à l’histoire, tant à cause de la position qu’ils occupaient que des circonstances exceptionnelles qui accompagnèrent leur supplice : je veux parler d’André des Bordes et de Melchior de la Vallée.
J’ai déjà eu l’occasion de dire quelques mots de celui-ci ; quant à des Bordes, quelque intérêt que puisse offrir sa biographie, je n’aurais jamais songé à recueillir les documents qui le concernent, si la découverte de pièces relatives à son procès n’était venue me mettre à même de présenter certains faits sous un jour tout nouveau.
Ces pièces formeront la partie la plus curieuse de mon travail; la notice qui les précède n’est qu’une sorte d’introduction destinée à rendre la lecture de ces pièces plus intelligible.
Abraham Racinot, plus connu sous le nom d’André des Bordes, était né en Lorraine vers l’année 1582. On ignore le lieu de sa naissance et la condition de ses parents ; mais on doit présumer qu’il appartenait à une famille assez aisée, car il reçut une éducation libérale. Lorsqu’il eut atteint l’âge raisonnable, il manifesta le désir de voyager, et partit pour l’Italie. Son séjour dans ce pays développa chez lui le goût des arts et de la littérature ; mais ses inclinations le portaient surtout, ainsi qu’il le dit lui-même, vers la profession des armes, et s’il fréquenta les musées et les bibliothèques, il fut plus assidu encore dans les salles d’armes ; aussi devient-il un des élèves les plus accomplis de ces fameux maîtres d’escrime dont la renommée avait fait le tour de l’Europe.
Au bout de quelques années, ayant acquis les connaissances qu’il ambitionnait, il regagna sa patrie. Grâce, sans doute, à des manières insinuantes et à son adresse merveilleuse pour les exercices du corps, fort en honneur à cette époque, il sut se faire admettre à la cour du duc de Lorraine Charles III, et fut bientôt l’un des favoris de Henri, duc de Bar, fils aîné et successeur futur de ce prince.
Henri, faible, prodigue, imprévoyant, se laissait aisément dominer par des personnes qu’il voyait chaque jour, et Racinot, qui avait su lui plaire, ne tarda pas à prendre un grand ascendant sur son esprit. Le duc de Bar le choisit pour son premier valet ou homme de chambre, comme on disait alors, et, dès le mois d’août 1606, il sollicita et obtint de Charles III, pour son protégé, une pension de 1,200 francs barrois, tant « pour gages de tirer d’armes que pour son entretenement. »
Abraham Racinot n’est déjà plus désigné sous son nom de famille, mais sous celui d’André des Bordes, dans les lettres patentes(1) du 7 août 1608, par lesquelles Henri, devenu alors duc de Lorraine, confirme la donation précédente. Il paraît aussi que son favori avait pris un nouveau titre(2), car, en cette même année 1608, on trouve celui-ci qualifié de « gentilhomme suivant le duc » (3).
- Voir registre des lettres patentes pour l’année 1608, f°98. Dans les lettres confirmatives de l’octroi fait à des Bordes par son prédécesseur, le duc Henri s’exprime ainsi : « Deument certifié de la fidélité et affection que nous voyons journellement, à nostre grand contentement, ledict des Bordes porter à nostre service… » Celui-ci continua à toucher cette pension jusqu’à la mort de Henri II ; il avait, en outre 100 francs de gages comme premier valet de chambre.
- Il est probable que ce nom de des Bordes n’est autre que celui d’une propriété qu’Abraham Racinot possédait près de Nancy. Dès le XVe siècle, il y avait, hors de la porte Notre-Dam, une sorte de jardin public destiné à l’amusement des bourgeois, et qu’on appelait les Bordes ou les Bourdes. (V. M. Digot, Hist. De Lor., t. III, p. 111.). Racinot, en revêtant ainsi non nom d’une physionomie nobiliaire, donna, soit dit en passant, un exemple qui a trouvé depuis de bien nombreux imitateurs.
- 3. Voir au Trésor des Chartes, layette Bar Nicey, n° 103.
Malgré cette qualification, des Bordes n’était pas noble : cet honneur lui fut seulement conféré le 2 août 1609, avec dispense de payer la finance accoutumée en pareil cas. Les considérants des lettres patentes d’anoblissement montrent en quelle estime il était près de son maître : « Ayant, dit ce dernier, mis en singulière recommandation les louables vaillances et mérites qui sont en la personne de nostre amé et féal André des Bordes, nostre premier homme de chambre, et les bons, fidels et agréables services qu’il nous a faits et rendus depuis que l’avons appelé près de nous audict esta, s’y estant comporté avec tant de soin et de fidélité qu’il est digne de grande louange et reconnaissance… » Plus loin, le duc rappelle que des Bordes n’a fait, « dès sa plus tendre jeunesse, aucune profession que des armes et de la noblesse. »
Peu de semaines après, le 29 juin, le duc Henri donne à son premier homme de chambre, « pour luy aider à acheter et payer une maison en ce lieu de Nancy, » une somme de 8,500 francs, payable en dix-sept portions égales. Cette gratification extraordinaire et réellement considérable, fut, selon toutes les probabilités, accordée à des Bordes à l’occasion de son mariage avec Marie Olivier, jeune fille appartenant à une famille distinguée de Pont-à-Mousson. C’est, du moins, la conclusion que je crois pouvoir tirer de cette circonstance, que des Bordes devait avoir, depuis un temps plus ou moins long, un logement à l’Arsenal en qualité de maître d’escrime du duc, ou plutôt du jeune baron d’Ancerville, favori de ce prince.
L’année suivante, des Bordes fit imprimer à Nancy, chez Blaise André, un petit volume intitulé : « Discours de la théorie, de la pratique et de l’excellence des armes. » A ce livre est joint le portrait de l’auteur, gravé en taille douce par Jean Appier Hanzelet et placé dans un médaillon autour duquel on lit : Andreas Desbordes nibilis Lotharingus. A. AET. XXVIII. Cette particularité suffirait à peindre le caractère de l’homme. Quant à sa physionomie, elle dénote une triste préoccupation bien moins que l’orgueil, qu’on croirait devoir trouver empreint sur tous ses traits.
Ce vice, qu’engendre presque toujours la faveur des grands, dut se développer outre mesure dans le cœur de des Bordes par suite des témoignages multipliés de bienveillance, on pourrait dire d’affection, que lui prodiguait son maître. Ainsi, on voit ce dernier donner successivement à son valet de chambre une rente de 600 francs sur le domaine de Châtel (1611), la cense de Loupvent, prévôté de Saint-Mihiel (1613), plusieurs pièces de prés aux environs de pont de Malzéville (1614), le jardin de la briqueterie de Saint-Jean près Nancy (1618), une partie de la tuilerie de Domgermain (1620), etc.
Des Bordes possédait, en outre, soit à titre d’engagement pour des sommes prêtées au duc, soit en toute propriété, une maison et un jardin à Nancy, les moulin et colombier de Jarville, le moulin de Triconville, la cense de Gonvaux près de Neufchâteau, la maison-fief de Zugmantel au val de Liepvre, avec les rentes et revenus en dépendant, la maison et seigneurie de Gibeaumeix avec son revenu, une portion de la seigneurie de Mont-le-Vignoble, quelques vignes et chenevières à Domgermain, 1,400 francs de rente sur la recette de Bar, la seigneurie d’Uruffe, le village de Callembourg et la cense de Berstroff près de Sierck, etc.
Non content d’enrichir son favori, Henri II le comblait encore d’honneurs : le 28 avril 1612, il le nommait capitaine, gruyer et receveur de Boulay ; quelques années après, le 8 mai 1615, capitaine et prévôt de Sierck, enfin, le 5 décembre 1617, il l’appelait au sein du conseil d’Etat, par des lettres patentes dont les considérants sont remarquables : « Connaissant clairement, y est-il dit, la bonne et sincère affection qu’André des Bordes, écuyer, seigneur de Gibeaumeix et de Loupvent, porte à nostre service, ensemble les cens, suffisance, prud’hommie et diligence par le bon devoir qu’il nous a rendu et rend continuellement, non seulement près et à l’entour de nostre personne et en sondit gouvernement, mais aussi en plusieurs importantes charges et commissions où il a esté par nous employé, et en belles et utiles correspondances qu’il entretient en pays étrangers pour nostre service, en quoy il s’est soigneusement et deument comporté ; voulant, pour cela l’installer et constituer en états et honneurs éminents, afin qu’il ait plus grand moyen que cy-devant de nous continuer, persévérer et augmenter son service, lui avons donné l’état de conseiller en nos conseils d’Etat et privé… »
Des Bordes, on le voit, était parvenu au comble de la faveur ; comme tous les hommes envers qui la Fortune se montre trop prodigue, il dut être ébloui, fasciné, et il ne put entrer dans sa pensée qu’un jour viendrait où tous ces biens et honneurs causeraient sa ruine. Aussi, est-il probable que, dès lors, soit par son orgueil même, soit par la jalousie qu’inspirait son élévation si rapide, il se fit de nombreux et puissants ennemis. Il y en eut un surtout qui ne devait pas pardonner au favori l’influence qu’il exerçait sur son maître.
Pour faire comprendre les événements qu’il me reste à raconter, il est nécessaire de dire quelques mots de ce qui se passait à la cour de Lorraine, des intrigues qui s’y nouaient et des principaux personnages qui y jouaient un rôle.
Henri II, marié en secondes noces à Marguerite de Gonzague, n’avait eu de cette union que deux filles : Nicole et Claude ; son frère, François, comte de Vaudémont, avait deux fils et désirait vivement marier l’aîné, Charles, avec la princesse Nicole. Henri regardait cette dernière comme la véritable et légitime héritière du trône ; François, au contraire, soutenait que les filles n’étaient pas aptes à régner. Mais comme il ne pouvait se dissimuler la faiblesse des arguments qu’il faisait valoir à l’appui de son opinion, il se bornait à demander la main de Nicole pour son aîné, afin de confondre, de la sorte, les droits et les prétentions des deux branches. Cette dernière demande rencontrait elle-même des obstacles presque insurmontables. Le duc, qui connaissait le caractère de son frère et de son neveu, craignait, et avec raison, de voir la couronne devenir leur héritage. Son éloignement pour ses parents lui inspira la pensée de donner Nicole à Louis de Guise, baron d’Ancerville, depuis comte de Boulay et plus tard prince de Phalsbourg et de Lixheim, fils naturel du cardinal de Guise, assassiné à Blois. Néanmoins, fatigué des obsessions, des violences même auxquelles il était sans cesse en butte, Henri, dépourvu d’assez d’énergie pour résister, avait fini par consentir au mariage de sa fille et de Charles, et le contrat avait été dressé le 22 mai 1621. Quant au baron d’Ancerville, il avait dû se contenter de la main de la princesse Henriette, sœur du futur duc de Lorraine.
Ces événements avaient été la cause de profonds dissentiments entre les familiers du duc et ceux du comte de Vaudémont ; les uns avaient conseillé à Henri une inébranlable résistance ; les autres avaient travaillé de tout leur pouvoir à amener la réalisation des désirs ambitieux de François et de son fils.
Au nombre des premiers s’étaient fait remarquer, par la persévérance et la vivacité de leur opposition, André des Bordes et Melchior La Vallée. Celui-ci était, comme on sait, chantre de la collégiale Saint-Georges et aumônier du duc et c’était lui qui avait baptisé la princesse dont la main était si ardemment convoitée. Des Bordes, en sa qualité de favori du baron d’Ancerville, avait dû nécessairement soutenir les intérêts de ce dernier, intérêts qui étaient en même temps les siens ; car il n’est guère supposable qu’il ait été guidé par d’autres motif, et que des prévisions inspirées par le patriotisme l'aient fait repousser l’avènement de Charles au trône.
Quoiqu’il en soit, il ne chercha pas à dissimuler son hostilité ; loin de là, aveuglé par la confiance que lui donnait l’affection du duc, il s’était prononcé hautement contre l’alliance en question. On raconte que Henri ayant envoyé des présents aux jeunes mariés par l’entremise du comte de Brionne, ce seigneur aurait dit à des Bordes que la joie allait être bien grande dans le pays par ce mariage ; à quoi celui-ci avait répliqué que cette joie ne durerait pas et qu’on verrait bientôt du rabat-joie.
Néanmoins, le double mariage avait eu lieu, mais dans des circonstances et avec des sentiments, de la part des époux, qui devaient faire présager ce que deviendraient ces unions, auxquelles la politique seule avait eu part. En effet, Charles, qui avait à peine pris soin de cacher son mépris pour Nicole lorsqu’elle n’était encore que sa fiancée, afficha encore plus de dédain et de froideur une fois qu’elle fut sa femme. Afin de couvrir d’un prétexte la répugnance qu’il éprouvait pour elle, il prétendait qu’il avait été ensorcelé la première nuit de ses noces, qu’on lui avait noué l’aiguillette, qu’il se trouvait des sorts dans le lit de la princesse, ce qui obligeait celle-ci à changer souvent de demeure et de lit. Un jésuite, le Père Fayot, « ayant été envoyé vers Nicole pour la délivrer de ces maléfices, il lui fut impossible d’en détourner l’effet, et personne ne put reconnaître de quoi ils étaient composés. » Dom Calmet, qui rapporte naïvement ces faits, ajoute, il est vrai : « peut-être n’y avait-il pas du tout de maléfices. ». On verra bientôt que la justice du temps devait se montrer moins incrédule à cet égard.
Henri II mourut le 31 juillet 1624. Son successeur, qui voyait ainsi se réaliser tous les rêves de son ambition, feignit d’abord de vouloir exécuter à la lettre les clauses de son contrat de mariage : Nicole fut associée au gouvernement et jouit des privilèges et des honneurs de la souveraineté ; mais, fatigué bien vite de ce partage gênant de l’autorité, Charles IV, de concert avec son père, eut recours à une artifice indigne pour dépouiller du pouvoir la femme à qui il en était redevable.
Il n’entre pas dans mon sujet de raconter la honteuse comédie que jouèrent les deux princes pour opérer la spoliation de la légitime héritière du trône ; cet événement est du domaine de l’histoire, et celle-ci ne saurait trop flétrir un acte où la déloyauté et l’abus de la force eurent une égale part. Charles IV, on le sait, ne devait pas s’arrêter dans cette voie.
Au milieu des menées politiques grâce auxquelles il était arrivé à son but, ce prince n’avait pas oublié qu’il avait à tirer vengeance de ceux qui s’étaient montrés hostiles envers lui sous le règne de son prédécesseur. Il y en avait un qu’il eût peut-être désiré pouvoir frapper, car il avait été son rival et peu s’en était fallu qu’il ne l’eût même emporté sur lui. Mais, outre que cet ancien rival était maintenant son beau-frère, Louis de Guise, devenu prince de Phalsbourg, était trop haut placé pour qu’on osât s’attaquer à lui. Charles alla donc chercher ailleurs une victime plus facile à immoler, et ce fut sur des Bordes que, pour le moment, il jeta les yeux.
A cette époque, on tenait une accusation toute prête contre les malheureux que l’on voulait perdre : c’était celle de sortilège et de magie. La maréchale d’Ancre, Eléonore Galigaï, en était un récent et triste exemple, auquel devaient s’ajouter plus tard ceux d’Urbain Grandier et du chantre de la collégiale Saint-Georges, Melchior La Vallée.
On a vu quelle avait été la conduite de des Bordes à l’occasion du mariage de Nicole : Charles IV ne lui avait pardonné ni son opposition, ni ses propos offensants ; propos que, sans doute, on s’était plu encore à grossir et à dénaturer pour attiser la haine du prince contre le favori de Henri II. Charles, qui n’avait pas tout-à-fait laissé éclater ses sentiments du vivant de son beau-père, n’avait plus désormais à garder aucun ménagement : la perte de des Bordes fut donc résolue.
S’il faut en juger par un passage de l’arrêt que je rapporterai plus loin, il paraîtrait qu’on avait préparé de longue main l’arme avec laquelle on se proposait de le frapper un jour. En effet, lorsqu’avait eu lieu, en 1622, le procès du médecin Charles Poirot, accusé d’avoir jeté des sorts à Me de Ranfaing pour s’en faire aimer, une fille, impliquée dans cette affaire, avait déclaré s’être trouvée au sabbat avec des Bordes. Cet aveu était-il tout spontané, ou bien, comme il est permis de le supposer, avait-il été dicté à cette malheureuse dans le but de s’en servir quand le moment serait venu ?... Toujours est-il que cette accusation était alors tombée d’elle-même, et qu’il n’y avait été donné aucune suite.
Quoiqu’il en soit, trois mois à peine s’étaient écoulés depuis le décès du duc Henri, lorsque commencèrent les poursuites contre son ancien valet de chambre. Le dernier octobre 1624, une information fut faite, secrètement sans doute, par le maître échevin de Nancy, Didier Dattel, et par les autres échevins, Claude Guichard, Claude de Bernécourt, Charles Renauldin, Errard Maimbourg, Thiéry Maucervel et Nicolas Petitgot. Deux filles, Esther Hardouin et Jacqueline Royer, ayant été entendues, l’arrestation et la mise en accusation de des Bordes furent décidées.
Tels sont, du moins, les faits qui résultent des termes de l’arrêt dont j’ai déjà parlé; mais, après avoir rapproché cet arrêt des documents irrécusables que j’ai consultés, je me crois en droit de penser qu’on a introduit dans cet acte judiciaire des énonciations contraires à la vérité. Il y est dit, par exemple, que commission de prise de corps fut décernée par les échevins de Nancy. Or, l’arrestation de des Bordes paraît, au contraire, avoir eu lieu bien plutôt comme une espèce de guet-apens que comme la mise à exécution d’une ordonnance de justice, fait suivant les formes légales.
On chargea de cette commission un agent subalterne le geôlier des prisons de Nancy, nommé Nicolas Claude, lequel raconte lui-même le fait, en termes parfaitement explicites, dans une requête adressée par lui « aux conseillers d’Etat de S. A. et de sa Cour souveraine le paiement des dépens qu’il avait soutenus pendant le temps que des Bordes avait été prisonnier sous sa garde ès prisons de la porte Notre-Dame : « le 14e jour du mois de novembre 1624, dit-il dans cette requête, ledit Nicolas Claude aurait esté commandé très-expressément, du commandement exprès de S.A. et de mondit sieur procureur général de Lorraine, de subtilement et secrètement, sans manquer, appréhender au corps André des Bordes et le constituer prisonnier ez prisons de ce lieu de Nancy ; ce qui fut fait. ». Nicolas Claude réclame la somme de 4 francs pour frais de prise de corps.
On voit que les échevins de Nancy ne paraissent nullement dans cette première scène du drame ; il n’y a que trois acteurs : Charles IV d’abord, le procureur-général ensuite, puis le geôlier, exécuteur de leurs ordres. Ces circonstances indiquent suffisamment quels étaient les personnages qui se chargeaient de diriger l’action de la justice et il était dès lors, facile de prévoir le résultat de la procédure.
Le duc prenait le rôle principal, sous le couvert du procureur-général de Lorraine, Claude-Marcel Remy, fils du fameux Nicolas Remy et, on peut le supposer du moins, héritier du sombre fanatisme qui avait animé ce trop fameux magistrat. Toutefois, afin de donner à la procédure des formes juridiques, on en confia l’instruction à des commissaires choisis parmi les membres « de la cour de Parlement » ou des Grands-Jours de Saint-Mihiel, dont les noms figurent au bas de l’arrêt ; ce furent : Nicolas Gondrecourt et Charles Sarazin, qu’on trouve qualifiés tantôt de conseillers d’Etat, tantôt de conseillers au conseil privé, tantôt enfin de conseillers d’Etat de S.A. et en la Cour souveraine de Saint-Mihiel ; de Bloise-Amblemont, C. de Haccourt et Barrois. On leur donna pour greffier un nommé François Dautrey, tabellion à Nancy. Le sieur de l’Eglise, lieutenant-général au Baillage de Bar, fut aussi chargé d’informer dans plusieurs lieux de son ressort ; enfin, les quatre sergents du prévôt de Nancy (François l’Abbé), Clément, Denis, Vaillart et François, furent également mis en réquisition et prirent une part plus ou moins grande à cette affaire.