Jacques de Pange °1770, pair de France
Huitième discours sur l'amendement proposé par M. le Marquis de Pange, à l'article 1er de la loi d'indemnité, 18 avril 1825
(Règne de Charles X, frère de Louis XVIII et de Louis XVI)
Messieurs,
En répondant à M. le président du Conseil des ministres, et en combattant une disposition du projet de loi qu'il soutient aujourd'hui, je me sens appuyé par lui-même, puisque je défends son premier système; car l'amendement sur lequel nous délibérons n'a d'autre objet que de retrancher de l'article 1er ces expressions : indemnité due, qui ne se trouvaient pas dans le projet de loi tel que le ministère l'avait présenté à l'autre chambre.
M. le comte de Villèle vient même encore de dire à vos seigneuries qu'il avait cru d'abord ce mot due inutile, parce qu'il était évident que le gouvernement n'aurait pas demandé à la nation un si grand sacrifice, si ce sacrifice n'avait pas été fondé sur la justice; mais, la justice exigeant ce sacrifice, on ne pouvait nier que l'indemnité ne fût due, et que la nouvelle rédaction qui reconnaissait cette dette ne fût plus complète que la première.
Je ne puis partager, messieurs, cette opinion; et, sans rappeler qu'il eût été peut-être plus politique de ne point songer à guérir une de nos plaies, lorsqu'on ne peut les cicatriser toutes, je dirai que le mot due, loin d'être un simple changement de rédaction, qui rende l'art. 1er de la loi plus clair et plus complet, change totalement le système de la loi, en altère le principe, et nous éloigne malheureusement du but que cette loi semblait vouloir atteindre. Au lieu d'un acte de politique, de magnanimité, de conciliation, cette loi devient un acte judiciaire et rigoureux.
Ce n'est plus un appel à la générosité nationale pour soulager de grands malheurs et guérir une des plaies profondes, triste fruit de nos discordes civiles; ce n'est plus une transaction faite pour concilier des intérêts opposés, rapprocher les esprits, effacer les ressentiments; c'est un procès que nous devons juger entre des créanciers et des débiteurs, entre des propriétaires émigrés, déportés, ou condamnés révolutionnairement, et la nation qui doit, disent-ils, les dédommager de leurs pertes. Ce ne sont plus des sentiments d'humanité, d'équité, d'union et d'oubli qu'on veut exciter; c'est la justice qu'on invoque.
M. le ministre des finances sait aussi bien que moi qu'il est plusieurs genres de justice : il est une justice morale, une douce vertu qui nous porte à adoucir, à soulager le malheur, même celui dont on ne peut nous imputer la cause; il est juste de faire ce bien quand on le peut et de faire de grands sacrifices pour alléger de grandes peines et consoler de longues souffrances.
C'est dans ce sens que l'indemnité, proposée pour terminer de funestes divisions et pour dédommager un grand nombre de Français victimes des lois révolutionnaires, est conforme à la justice.
Mais, dès que cet acte de munificence, de générosité, change de formes, et se présente comme l'acquittement d'une dette non contestée, tel que le commande la justice dans les tribunaux, ne voit§on pas qu'alors on remet en question tout ce qu'il fallait laisser dans l'oubli, et que la nation s'étonne de se voir, pour ainsi dire, condamnée à payer une dette qu'elle eût été prête à s'acquitter volontairement , pour répondre à un appel fait par la sagesse royale à la générosité française.
Le premier projet présenté par le ministère était un acte d'union, de conciliation; et je crains que le projet, tel qu'il a été amendé, ne ressuscite des ressentiments qu'il fallait calmer, des animosités qu'il fallait éteindre.
Déjà nous en avons vu les funestes résultats : des débats dont nous déplorons tous la vivacité, l'amertume, d'anciennes et dangereuses questions réveillées sur les différentes lignes que chacun a suivies dans ces temps de troubles, sur les diverses manières de considérer le devoir et l'honneur, soit au dedans, soit au dehors de la France.
Après trente ans de calamités, de passions, qu'il est affligeant de voir renouveler des accusations réciproques, des reproches mutuels ! Parler de dettes, lorsque tant de pertes ont été éprouvées; de justice rigoureuse, quand de part et d'autre on a commis tant de fautes, souffert tant de malheurs; lorsque les traces d'une longue révolution ont laissé partout tant de plaies à cicatriser, est-ce le moyen de rapprocher les coeurs et de raffermir la paix ?
Suite page 157, tome VIII, des oeuvres complètes de M. le Comte de Ségur
de l'Académie française, pair de France
Armoiries des ascendants de Jean-Baptiste de Pange
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Le château de Pange sous la Révolution avec le destin de trois frères :
~ Louis, compagnon de Lafayette à York-Town et mort pour le roi,en Vendée,
~ François, le démocrate, ami du poète André Chénier et aimé de Madame de Staël,
~Jacques, le petit dernier, seul survivant de cette tourmente, devenu chambellan de Napoléon, accueillant l’impératrice Marie-Louise à Pange en 1812 ;
par Edith de Pange
Revoir nos articles sur les comtesses de Choiseul et Schmidbourg, victimes de la Révolution